Sommaire
Dans un climat de méfiance et alors qu’elles ont le devoir d’informer la population, à peine plus de 10% des localités interpellées livrent des explications claires concernant la qualité de leur eau potable.
Du robinet ou en bouteille, l’eau a fait l’objet de plusieurs scandales ces dernières années. Pollutions diverses, tromperies, ce bien de première nécessité est plus que jamais scruté. Il est compréhensible que les consommateurs se questionnent sur la qualité de l’eau qu’ils boivent et voient leur confiance ébranlée par les informations que leur transmettent les médias. Or une eau du robinet qui devient impropre à la consommation, cela peut arriver partout et à tout moment. Ces derniers mois, des dizaines de communes genevoises, vaudoises, bernoises et valaisannes en ont fait l’expérience. Lorsque cela arrive, les habitants doivent être informés rapidement et les distributeurs d’eau sont tenus de prendre des mesures pour redresser la situation.
Commune de Perrefitte (BE)
Qualité de l’eau et de l’information
Dans les faits, comment les communes romandes gèrent-elles ce type de problématique? Et que communiquent-elles à la population? C’est ce que la FRC a cherché à savoir en menant une vaste enquête dans toute la Suisse romande. Ce travail s’inscrit dans une investigation de grande envergure, autour de l’eau du robinet, menée en collaboration avec les émissions À Bon Entendeur et On en parle de la RTS (article). Alors que nos confrères ont examiné les analyses d’eau, c’est sur la qualité de l’information que nous nous sommes penchés.
La FRC a demandé à son réseau d’enquêteurs d’écrire à 252 communes en suivant deux scénarios différents. Tout d’abord, le client mystère a écrit à sa commune de résidence pour obtenir les dernières analyses de la qualité de l’eau ainsi que les mesure prises en cas de contamination. Dans le second scénario, la personne envisage de s’installer dans une localité, mais face aux affaires récentes de contamination, elle s’inquiète de la qualité de l’eau. Elle demande donc à l’administration communale qu’on lui transmette les dernières analyses complètes disponibles. Elle ajoute qu’elle souhaite savoir comment la population est avertie en cas de contamination et quelles mesures sont mises en place pour rendre l’eau à nouveau potable. Cette double démarche permet de comparer les réponses données aux habitants d’un lieu et celles données à ceux qui songent s’y installer. Après un premier message, les enquêteurs devaient attendre 15 jours avant de relancer les autorités. Si une semaine après le rappel ils n’avaient toujours pas obtenu de réponse, nous avons estimé que la commune n’avait pas pu ou voulu répondre.
55% des localités ne transmettent pas l’information demandée
Concernant la communication des résultats d’analyses, la commune doit fournir une réponse complète ou, au moins, renvoyer au distributeur d’eau si elle n’assure pas elle-même ce rôle. En effet, le distributeur d’eau a l’obligation de renseigner selon la loi. Or, en dépit de cette obligation, 71 communes, soit 28% des 252 contactées, n’ont pas donné suite à la requête, malgré l’envoi d’un rappel. Ce taux extrêmement élevé est inquiétant car il montre que la réglementation peine à être respectée. Et ce n’est pas tout. Sur les 181 communes restantes, 68 n'ont pas transmis les résultats d’analyses demandés. Les raisons sont variées. Il y a celles qui se contentent de répondre que leur eau est potable, comme à Ormont-Dessus (VD), où l’auteur de la réponse a écrit: «En ce qui concerne l’eau, nous jouissons d’une très bonne qualité.» Il y a aussi celles qui refusent de communiquer ces résultats, car le demandeur n’est pas un habitant de la commune. De Perrefitte (BE), une enquêtrice a reçu ce message : «Nous n’avons pas de problèmes de pollution des eaux potables au sein de notre commune. Si vous souhaitez de plus amples informations, cela pourra éventuellement être discuté après que vous serez enregistré dans la commune.» Il y a celles qui invitent à consulter les résultats d’analyses sur place: à Ursins (VD), l’administration communale invite ainsi l’enquêtrice à «examiner les résultats d’analyses au bureau communal où Madame XY mettra les documents à disposition».
Des chiffres bruts sans explications
Sur les 252 localités, 113, soit 45%, ont bien transmis des résultats d’analyses ou dirigé correctement l’interlocuteur vers l’information. Malheureusement, certaines fois, ce sont des rapports d’analyses bruts qui ont été transmis, et qui s’avèrent vraiment succincts. Le destinataire ne peut se faire aucune idée de la qualité de l’eau, car les normes n’y sont pas indiquées. Certaines communes donnent des résultats détaillés, dans lesquels on découvre des non-conformités, qui ne sont pas expliquées. C’est le cas de Rueyres (VD), St. Silvester (FR), Ependes (VD), où des taux de chlorothalonil supérieurs à la limite légale de 0.1 microgramme par litre ont été mesurés. Ces communes ne précisent pas dans leurs messages que leur eau n’est pas conforme.
Au final, les trois quarts des rapports reçus (86) se révèlent de qualité plutôt moyenne, car ils suscitent des questions. Les consommatrices et consommateurs ne sont pas censés disposer de connaissances scientifiques en la matière ou d’une formation d’inspecteur des eaux ou de fontainier pour pouvoir interpréter ces résultats. Mais les réponses s’avèrent parfois sympathiques, comme celle de Châtillon (JU), informant l’enquêteur qu’un appartement est libre dans le bâtiment communal.
Heureusement, 27 communes (11%) se classent dans la meilleure catégorie et peuvent se targuer d’avoir fourni des informations claires et personnalisées aux enquêteurs, avec mise à disposition de résultats détaillés et explications claires. Ces communes sont de tailles variables et situées dans différents cantons. Il y a des villes, comme Sierre et Lausanne, et des localités très petites, comme Gletterens dans le canton de Fribourg, avec ses 1200 habitants. Difficile d’identifier une caractéristique commune chez ces «bonnes élèves». Elles n’ont pas forcément toutes des résultats d’analyses excellents, mais leurs informations sont transparentes.
Champéry (VS)
Transparence et plans d'action
En droit suisse, l’eau est considérée comme une denrée alimentaire et la règlementation qui lui est applicable instaure notamment le principe de l’autocontrôle, auquel sont soumis tous les distributeurs. Si aucune disposition légale n’oblige les communes à répondre aux questions des enquêteurs sur les mesures envisagées en cas d’incident sur leur réseau d’eau, elles ont l’obligation de préparer un plan d’action en la matière et de le consigner dans leur autocontrôle. Toutefois, même sans obligation légale de communiquer, ces questions sont pertinentes et concernent directement la population. Il nous paraît évident que les communes ont tout intérêt à faire preuve de transparence.
Pourtant, seules 13,5% d’entre elles ont adressé un retour clair et rassurant aux enquêteurs! La commune de Fribourg en fait partie. Sa réponse démontre qu’elle a un plan défini en cas de problème, ce qui inspire confiance: «En fonction de la gravité de la pollution, la commune informe les habitants de ne pas consommer l’eau (radio, média électronique, passage physique dans les rues si nécessaire). Suivant la gravité et le nombre de communes touchées, l’information peut être directement transmise par la préfecture. Du côté technique, SINEF (ndlr: le distributeur d’eau) met en place les traitements spéciaux spécifiques, par exemple chloration choc, approvisionnement par d’autres sources d’eau.»
Plans d’action passés sous silence
Cet éclairage technique que la commune donne ici, très peu de localités l’ont apporté. Conscients qu’il est impossible d’expliquer tous les scénarios et mesures envisagées, quelques informations de base mériteraient toutefois d’être données, ce d’autant que des communes telles que Fribourg ont été en mesure de le faire. Or une immense majorité des communes interrogées (86%) n’expliquent aucune des mesures techniques qu’elles mettraient en œuvre pour résoudre un éventuel problème. Un enquêteur a reçu de la commune de Champéry (VS) une réponse qui se démarque par son honnêteté et sa transparence: «Nous sommes justement en train d’étudier la chose et de faire un plan de crise en cas de pollution.»
La palme de la réponse revient à la commune ayant indiqué à notre enquêteur que «toutes les mesures à prendre en cas de contamination sont établies par l’OFCO (ndlr: Office de la consommation du canton de Vaud, chimiste cantonal) sur le site du canton de Vaud». Or, il est totalement faux d’affirmer que c’est au chimiste cantonal d’établir ces mesures, puisqu’il appartient, comme dit précédemment, au distributeur d’eau d’intégrer les différents scénarios dans son autocontrôle, document qui est ensuite contrôlé par les chimistes cantonaux.
58 localités (23%) ont au moins indiqué comment elles informaient le consommateur. Les réponses qu’elles ont apportées permettent ainsi d’anticiper des démarches pour être informé en cas d’incident, par exemple en téléchargeant des applications (Alertswiss, ou l’application de la commune). Ces applications ont souvent été citées comme canal d’information, tout comme la radio et l’envoi de SMS.
160 communes (63%) n’ont donné suite à aucune de ces questions, soit parce qu’elles n’ont pas répondu du tout (71), soit parce qu’elles ont ignoré ces deux points. Impossible de savoir quelle part de ces 89 localités (35%) a intentionnellement omis de communiquer sur la question des mesures prises en cas de contamination. Mais une chose est sûre : les chiffres que nous avons récoltés mettent en lumière un réel manque de transparence à l’égard des consommateurs.
Mieux communiquer pour mieux protéger
Les résultats de cette enquête sont inquiétants. Ils reflètent, d’une part, à quel point la préoccupation légitime des consommateurs concernant la qualité de l’eau est minimisée, voire niée. Plus grave, certaines réponses obtenues démontrent une méconnaissance totale des obligations qui incombent aux distributeurs d’eau. Or, impossible de passer à côté de ce devoir d’information, explicité sur de nombreux sites web officiels. Certains cantons ont même édicté des guides et des modèles à ce sujet, comme Berne par exemple.
D’autre part, notre enquête tend à mettre en lumière le flou qui règne autour de la portée de ce devoir d’information. Il est étonnant de constater à quel point a qualité des réponses est variable. Si, à la base, le devoir d’information instauré par la législation a pour objectif de permettre une information transparente au consommateur, et ainsi de rassurer ou d’expliquer l’état de la qualité de l’eau, notre enquête démontre que c’est l’effet contraire qui se produit. En effet, certains enquêteurs, confrontés à toutes sortes de variantes, ont même imaginé que des informations leur étaient sciemment cachées.
À notre sens, cela démontre un véritable problème au niveau du système mis en place actuellement, qui entretient plutôt la méfiance et la confusion. Est-il réellement praticable? Ne faudrait-il pas préciser davantage le cadre de ces obligations, assurer une information plus large et compréhensible, au vu des enjeux de santé publique? La FRC attend des acteurs concernés, notamment des autorités, qu’elles se mettent rapidement autour de la table pour discuter de ces enjeux et trouver des solutions. Le droit alimentaire a en effet pour piliers fondamentaux de «protéger la santé du consommateur» mais aussi de le «protéger contre la tromperie» notamment par le biais d’une information transparente. Notre enquête le prouve, nous sommes loin du compte!
Quelles sont les règles?
Dans son article 5, l’Ordonnance fédérale sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD) indique que «quiconque distribue de l’eau potable par une installation servant à la distribution d’eau est tenu de fournir au consommateur intermédiaire ou final, au moins une fois par an, des informations exhaustives sur la qualité de cette eau». Qu’entend-on par «informations exhaustives»? Les 113 rapports d’analyses reçus sont très hétéroclites: certains tiennent en quelques lignes et d’autres s’étalent sur plusieurs pages. Alors quelles analyses un distributeur d’eau doit-il effectuer? La réponse s’avère assez étonnante: seules les analyses microbiologiques sont obligatoires. En effet, les distributeurs d’eau sont tenus d’établir un autocontrôle sur la base d’une analyse de risques, qui elle-même se base sur une directive technique reconnue par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Cette directive lui donne un certain nombre d’indications, par exemple sur la fréquence des contrôles. Si l’on s’intéresse à la question des micropolluants par exemple, tous ne doivent pas obligatoirement être analysés. C’est le distributeur d’eau qui en déterminera la pertinence. Par exemple, un distributeur approvisionné par des sources situées en montagne ne procédera très probablement pas à une analyse portant sur les pesticides, puisque les risques sont limités. S’il se trouve dans une zone agricole, l'eau est susceptible de contenir pesticides, nitrates, ammonium et phosphates. Il s’agira alors de procéder à ces analyses.
Or si, conformément à l’article 5, les consommateurs doivent être informés des résultats exhaustifs, ils n’ont pas accès à cette analyse de risques ni aux arbitrages effectués en la matière, tout comme la FRC. Nous n’avons donc pu que partir du principe que les analyses effectuées et transmises le sont sur la base d’une analyse de risques effectuée correctement.
Pourquoi 252 communes?
Notre enquête a porté au final sur 252 communes, parmi les 619 que compte la Suisse romande. Parmi elles, 20 sont les communes de résidence de nos clients mystères. Pour les autres, notre choix s’est porté sur celles qui n’avaient pas répondu ou pas voulu répondre aux questions concernant la qualité de l’eau transmises par nos confrères de À Bon Entendeur plus tôt dans l’année. Notre but était double: d’une part chercher à savoir si les communes donnaient plus facilement réponse à un citoyen qu’à un journaliste, d’autre part, offrir lors de ce travail conjoint avec la RTS la plus grande couverture possible de la Suisse romande en ce qui concerne les analyses. Ce choix a certainement eu une incidence sur le nombre de réponses que nous avons reçues, même si des communes ayant indiqué à À Bon Entendeur ne pas vouloir répondre ont tout de même donné des informations quand notre enquêteur leur a posé la question (par exemple Chexbres VD, Saint-Brais JU, ou Estavayer FR). D’autres, comme Molondin VD, ont continué à se murer dans le silence, malgré les relances. Cette méthode a aussi eu comme incidence que notre enquête ne comprend que très peu de communes genevoises, car les Services Industriels de Genève avaient déjà répondu à nos confrères.