TikTok: #malbouffe

Une enquête de

Sandra Imsand et Rebecca Eggenberger

28 mars 2024

Les résultats d’une expérience inédite menée par la FRC auprès de plus de 160 jeunes montrent que McDonald’s, Coca-Cola, KFC, Burger King sont les marques les plus repérées, et de loin, par les adolescents et jeunes adultes sur TikTok. Le constat inquiète, au vu des risques pour la santé que représente une exposition à des produits malsains durant cette période cruciale du développement. Enquête et prise de position en trois chapitres.

Des vidéos courtes, drôles, qui circulent en continu: voici ce qui fait le succès de l’application TikTok auprès des jeunes. Il s’agit du réseau social le plus populaire auprès des Suisses de moins de 26 ans, devant Instagram et Facebook. Le pays compterait plus de 500 000 utilisateurs, principalement adolescents et jeunes adultes. Quelque 40% de ses abonnés en Suisse sont âgés de 18 à 24 ans, selon TikTok. En outre, l’application chinoise est au cœur de l’actualité mondiale, puisque les États-Unis menacent de l’interdire pour raison d’espionnage et que l’Union européenne a récemment ouvert une enquête pour manquements présumés en matière de protection des mineurs.

La FRC, qui documente de longue date le marketing adressé aux jeunes publics et les liens tissés entre l’influence et l’alimentation, s’est intéressée à découvrir quel contenu voient les utilisateurs de TikTok. Quelles denrées passent sous les yeux des adolescents et comment sont-elles perçues par les principaux intéressés? Ces contenus sont-ils considérés comme des vidéos «standards» ou des publicités? Les abonnés font-ils la différence? Pour le savoir, rien de tel que de le demander aux jeunes eux-mêmes lors d’une expérience inédite en Suisse.

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Protocole de l'enquête

Ce sont huit classes du secondaire 1 et une classe d’une école professionnelle dans les cantons de Genève, Vaud, Valais et Berne qui ont participé à ce projet, mené dans le cadre de la Semaine des médias à l’école au mois de février. Au total, 163 adolescents et jeunes adultes se sont transformés, l’espace d’une à deux périodes de cours, en enquêteurs de terrain pour la FRC.

Concrètement, chaque élève était invité à se rendre sur l’onglet «Pour toi» de son compte TikTok et à être attentif à ce que l’application lui proposait comme contenu. Le protocole d’enquête était simple: regarder toutes les vidéos jusqu’au bout et inscrire sur un formulaire toutes les apparitions de nourriture et de boissons à l’écran. Lorsqu’une marque était reconnaissable, il fallait aussi la relever. L’expérience a duré entre 20 et 30 minutes par classe, les jeunes ont donc pu visionner entre 25 et 50 vidéos au total dans le temps imparti. Toutes ne concernaient pas l’alimentation, puisque le choix était dicté par l’algorithme.

Zapping interdit

La consigne de regarder les vidéos en entier a été extrêmement difficile à respecter dans une application qui encourage le zapping à grande vitesse. Soupirs, roulement d’yeux et gestes exprimant l’ennui n’étaient pas rares lorsque l’élève tombait sur une vidéo qui ne lui plaisait pas et qu’il était «forcé» de la laisser défiler jusqu’au bout. Au contraire, quand un contenu éveillait sa curiosité, impossible de ne pas partager des commentaires à voix haute avec le reste de la classe. Joyeuse cacophonie! Autre instruction: ne pas interagir avec les vidéos. C’est-à-dire, ne pas liker, ne pas cliquer sur les commentaires, ne pas suivre les liens. Le but était d’éviter d’influencer l’algorithme en cours d’expérience en indiquant les contenus jugés les plus intéressants pour l’utilisateur. Mais là aussi, pas facile de suivre la règle. Ainsi, ce Vaudois de 15 ans a indiqué dans son formulaire: «Pendant l’expérience, je me suis abonné à des comptes de nourriture, saines ou non. Ça donnait envie et ça a l’air facile à reproduire.»

Le but de la démarche n’était pas de référencer avec exactitude tout ce qui circule sur les réseaux, mais plutôt de prendre en compte la perception des utilisateurs: ce qui happe leur attention sur TikTok et le regard qu’ils portent sur ces contenus. L’expérience comporte un élément de subjectivité assumée.

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Fast-food et desserts surreprésentés

Il ressort de l’analyse de ces 163 formulaires des observations intéressantes. Des produits bruts ou peu transformés ont été identifiés par les jeunes, notamment lorsque des vidéos de recettes de cuisine leur étaient suggérées. Néanmoins, l’écrasante majorité des denrées et des boissons repérées sont des produits très gras, très salés, très sucrés et ultratransformés. Même s’il n’a pas été possible d’évaluer précisément le profil nutritionnel de chacune, leur classification laisse peu de place au doute. En effet, les catégories fast-food et desserts sucrés sont de loin celles qui ont été les plus vues.

Les hamburgers, par exemple, ont été relevés à 13 reprises. Suivis de près par les nuggets, les frites, les chips, les tacos, les hot-dogs et les kebabs. Si on les additionne, la catégorie fast-food totalise plus de 45 relevés. Si l’on y ajoute les pizzas, on atteint 55. Les desserts, quant à eux, parmi lesquels figurent gâteaux, crêpes au chocolat, pâtisseries, pancakes garnis et donuts ont été identifiés plus de 40 fois. Ajoutons-y les barres chocolatées ainsi que les bonbons et l’on dépasse les 100 relevés de produits gras, salés et sucrés.

Côté boissons, l’eau a été mentionnée sept fois par les élèves, eaux vitaminées comprises. Les boissons sucrées (sodas, thés froids, jus de fruits et milkshakes) ont été de loin les plus observées, mais dans une proportion un peu plus faible que les denrées riches en gras, sel et sucres, puisqu’elles ont été identifiées à raison de 23 fois.

Un outil utilisable par les gouvernements

L’OMS-Europe a mis sur pied un modèle de profil nutritionnel regroupant des critères nutritionnels uniformisés reposant sur des études scientifiques et permettant la classification des produits afin de déterminer si ces derniers sont suffisamment sains pour faire l’objet de publicités à destination des enfants. Cet outil, testé par plus d’une dizaine de pays européens, est directement utilisable par les gouvernements pour élaborer des politiques publiques en matière de marketing alimentaire à destination des plus jeunes.

La santé en question

Si le temps passé sur les écrans varie d’un adolescent à l’autre, les aliments et boissons auxquels chacun est le plus souvent confronté sur cette plateforme sont donc majoritairement ceux qui peuvent nuire à sa santé lorsque consommés en trop grande quantité.

En Suisse, plus de 2,2 millions de personnes souffrent de maladies non transmissibles, telles qu’obésité, diabète de type 2 et maladies cardiovasculaires, lesquelles représentent environ 80% de la totalité des coûts de la santé. Et environ 15% des enfants et des adolescents sont en surpoids (source: Office fédéral de la santé publique). Le chiffre ne cesse d’augmenter, avec un risque majeur pour ces jeunes de développer une maladie à l’âge adulte. En cause: le mode de vie. Il est par ailleurs prouvé que de mauvaises habitudes alimentaires acquises dans l’enfance s’ancrent dans la vie d’adulte. La prévention est donc essentielle dès le plus jeune âge.

Le burger, «ça fait du bien»

Les messages de prévention ont toutefois de la peine à résister au marketing écrasant de l’agroalimentaire. De nombreuses études le prouvent. Citons celle qui démontre qu’un enfant reconnaît le logo du McDonald's dès l’âge de 4 ans, étude dont la FRC a discuté en classe avec certains jeunes. «C’est réconfortant», «c’est trop bon» ou «ça fait du bien», sont certains de leurs qualificatifs pour décrire l’expérience du fast-food. Certains chercheurs ont par ailleurs prouvé que les aliments très gras et très sucrés pourraient augmenter massivement dans le cerveau les niveaux de dopamine, ou «neurotransmetteur du bonheur», responsable de l’activation du système de la récompense.

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McDo et Coca presque partout

Parmi les 79 marques que les jeunes ont indiquées comme étant en lien avec l’alimentation, 70% sont des enseignes connues pour commercialiser de la malbouffe. En tête de classement figure McDonald’s, apparu dans sept classes sur neuf. Suivent KFC, Burger King, Five Guys, Dunkin’ Donuts et Starbucks. Différentes marques bien connues pour leurs sucreries et barres chocolatées sont également très présentes, dont Kinder Bueno (six classes). Parmi les boissons, Coca-Cola arrive en tête de liste (six classes), suivie des marques Pepsi, Sprite, Rivella, Fanta, Lipton et Red Bull. Les eaux minérales, telles que Cristaline, sont moins souvent identifiées.

La catégorie des boissons alcoolisées n’est malheureusement pas en reste. Elle a été identifiée à neuf reprises durant l’expérience, principalement sous forme de cocktail et de bière. La marque Superbock a même été relevée dans une classe. L’observation peut choquer, car ce sont des mineurs, souvent même âgés de moins de 16 ans, qui ont été confrontés à ces contenus.

Côté distributeurs, Lidl a été identifié dans six classes, suivi dans l’ordre par Coop, Migros et Aldi. Notons encore que les enseignes Uber Eats et Just Eat, services de livraison à domicile, se taillent également une part du gâteau (deux classes). En février, ces marques faisaient justement tourner des campagnes de publicité d’envergure sur TikTok, spots que les élèves ont repérés.

Les résultats confortent la recherche

L’industrie agroalimentaire investit en effet de longue date et massivement dans des campagnes publicitaires sur ce genre de plateformes, ayant bien compris où aller chercher les jeunes. Hormis les classiques publicités payantes, l’industrie mise sur le placement de produits par des influenceurs, une forme de marketing extrêmement efficace (lire notre enquête Les influenceurs font-ils grossir nos enfants?). Tous les résultats de cette expérience sont clairement instructifs et confortent aussi d’autres travaux, les conclusions de notre analyse ne nous ont donc pas surpris.

Ainsi, une étude réalisée en 2022 par la Haute École ARC à Neuchâtel pour l’Office de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) arrive à des résultats similaires aux nôtres et démontre la surreprésentation des produits malsains dans les contenus publicitaires. Ce travail a monitoré l’exposition des jeunes au marketing alimentaire en Suisse. Parmi les publicités diffusées sur YouTube, 78% concernaient des produits trop gras, trop salés et/ou trop sucrés. Sur les 65 marques identifiées, 49 faisaient la promotion de ce type de produits. Tous les produits qui sont trop gras, trop salés, trop sucrés ont bel et bien leur royaume, et c’est celui de ces réseaux sociaux.

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L'omniprésence des émotions

De toutes les vidéos retenues, une mention spéciale est décernée à celle des nuggets qui parlent et à celle des fruits qui chantent; elles ont suscité de nombreuses réactions dans deux classes au moment où elles sont apparues. Agitation, éclats de rire, railleries et surtout envie de montrer aux autres camarades. Mais pas seulement: dans leurs questionnaires, les élèves les ont mentionnées comme étant celles qui les ont le plus marqués. Leur réaction corrobore ce que démontrent de nombreuses études scientifiques: l’humour et le jeu sont des mécanismes très efficaces pour susciter l’envie chez les plus jeunes. Les vidéos humoristiques ont très souvent été mentionnées comme étant un sujet d’intérêt sur TikTok. D’ailleurs, en février, une vidéo absurde et décalée de fraises nappées de chocolat devenait virale sur l’application. Également repérée par les élèves, cette vidéo a totalisé, selon le journal Le Temps, plus de 40 millions de likes, 500 000 commentaires et 300 millions de vues à travers le monde.

Nos enquêteurs en herbe ont dû déterminer quels aliments ont laissé la plus grande empreinte dans leur esprit après avoir terminé le visionnage; ils devaient donc faire appel à leurs souvenirs. Ce sont des vidéos accompagnées d’une émotion – les contenus humoristiques, choquants, tristes ou qui éveillaient la curiosité ou la faim, qui ont été le plus souvent mentionnées. Ce constat rejoint les travaux de chercheurs qui lient émotions et mémoire. Pour le pédagogue Jean-François Michel, l’apprentissage s’inscrit dans une expérience qui a laissé des traces. Selon l’enseignant français, les émotions participent à un phénomène cognitif appelé «souvenir flash» et amèneraient la mémoire à mieux retenir les informations qui lui sont soumises.

Impulsion et réaction

Les mécanismes utiles pour stimuler l’apprentissage en salle de classe sont visiblement aussi exploités par les réseaux sociaux. «Le but des acteurs des plateformes, qu’il s’agisse de marques, d’influenceurs ou de la plateforme elle-même, est de produire de la valeur économique ou réputationnelle, explique Julien Pierre, professeur de communication à l’Université de Sherbrooke (Canada). L’affect produit de la valeur. Aller dans l’indignation, la colère, le dégoût permet de faire circuler des contenus. La colère peut être un bon motivateur et le dégoût permettre le passage à l’acte.» Dans le cas de TikTok, le spécialiste explique l’importance des fonctionnalités de la plateforme et la réussite des formats courts. «Dès que l’affect est atteint, en tant qu’utilisateur, je suis invité à cliquer, en likant, partageant, sauvegardant. C’est le régime de l’impulsion. Le but est de susciter une réaction rapide de l’usager.»

Un constat qui se vérifie encore plus au vu du public de notre enquête. «L’adolescence est un moment particulier, où se développe l’esprit critique des futurs citoyens. Mais c’est aussi un temps d’expérimentation et d’impulsivité. En clair, il s’agit de faire preuve de souplesse: les adolescents ont le droit de faire une erreur de jugement sur du contenu qu’ils aiment ou partagent sur les réseaux sociaux. Ils s’aguerrissent avec le temps, en se confrontant aux médias.»

Publicité et contenu se mélangent

Dans les contenus visionnés par les jeunes participants figuraient aussi bien des vidéos «standards», postées normalement, que des publicités. Dans un milieu où les règles encadrent encore trop peu la manière d’identifier un contenu sponsorisé (lire encadré), comment les usagers font-ils la différence?

Dans l’expérience, les jeunes ont été amenés à s’exprimer sur les éléments constitutifs d’une publicité. La plupart ont identifié les collaborations, les contenus commerciaux, le placement de produits ainsi que les publicités «comme celles qu’on voit à la télévision». En revanche, lorsqu’on leur a demandé si un contenu spécifique était ou non de la publicité, beaucoup ont répondu par la négative car «ce n’est pas écrit pub dessus». D’autres ont tout de même estimé que lorsqu’une marque est trop mise en avant ou que le contenu «pousse à la consommation», il s’agissait d’une publicité. Une élève vaudoise a déclaré: «Les pubs des influenceurs sont surjouées. Souvent, ils aiment mentir pour que ça donne envie d’acheter alors qu’on voit qu’eux-mêmes ne sont pas convaincus. Ils veulent trop mettre le produit en avant comme si c’était une boisson ou un goûter incroyable.»

Inciter au «temps de suspension»

Alors que les réseaux sociaux représentent la plus grande influence sur la formation de l’opinion chez les moins de 29 ans, il est intéressant de développer cet esprit critique, qui s’aiguise grâce au partage et aux discussions avec les pairs. «Il existe un espace de réflexion entre jeunes sur la façon dont ils évaluent un contenu, les interactions qu’ils ont, estime Julien Pierre. Cela provoque une réflexion sur l’usage des plateformes de médias sociaux. Il faut mettre en place des moments de discussion sans jugement moral.» Le spécialiste milite pour encourager le «temps de suspension» sur les réseaux sociaux, cet instant de réflexion durant lequel un utilisateur va évaluer finement ce qu’il va liker, partager, mettre en circulation. Même si l’enquête FRC s’est centrée sur les jeunes, elle a aussi ouvert les yeux de certains enseignants, peu familiers avec TikTok. Ils ont été surpris, voire inquiets, du type de contenus auxquels leurs élèves étaient confrontés. L’échange intergénérationnel aurait aussi son utilité…

Les élèves ont été interrogés sur leur façon de juger le contenu de TikTok, comment ils distinguent l’information véritable de la publicité et/ou de l’intox. Nombreux ont affirmé haut et fort ne pas «être bêtes», et être capables de faire la différence. Dualité intéressante à relever: cela ne les empêche pas, dans le même temps, d’affirmer «maintenant, je veux tout acheter», après avoir été alléchés par les 20 minutes de visionnage.

Tant que nous n’avons pas conscience de la manière dont des contenus nous touchent, nous n’avons pas conscience de la façon d’interagir avec eux.
Julien Pierre, de l’Université de Sherbrooke

Pub: les ados pas dupes

«Les adolescents ont une forme d’expertise des réseaux sociaux, ils ont raison de dire qu’ils ne sont pas dupes, estime Julien Pierre, de l’Université de Sherbrooke. Même si les adultes aimeraient se prévaloir d’une expertise, les adolescents maîtrisent bien mieux les codes de TikTok.» Le spécialiste fait une comparaison avec le passé: «À l’époque, les utilisateurs de Facebook n’étaient pas naïfs non plus face aux stratégies utilisées sur la plateforme.»

Le professeur regrette qu’il n’existe pas d’éducation aux émotions en Occident. «Tant que nous n’avons pas conscience de la manière dont des contenus nous touchent, nous n’avons pas conscience de la façon d’interagir avec eux.» Cet apprentissage permettrait, selon lui, de dépasser le mouvement d’impulsion et d’accélération, qui provoque une polarisation de la société et devient un terrain toujours plus propice à la propagation de la désinformation. Il lance un appel à la vigilance, aussi bien par les plateformes elles-mêmes que par les États, pédagogues, familles et créateurs de contenu. Pourtant, tout n’est pas noir. «On a tendance à porter un regard sombre sur les réseaux sociaux, mais il y a beaucoup de potentiel positif, analyse Julien Pierre. Les médias sociaux provoquent plus d’émotions positives que tous les autres médias précédents, c’est très encourageant.»

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Encadrer le marketing alimentaire: une nécessité

À l’heure actuelle en Suisse, la seule limitation existante au marketing alimentaire est l’initiative Swiss Pledge. Née en 2010, elle émane d’un certain nombre d’entreprises et repose sur le volontariat. Certaines grandes marques en font partie, mais Coop et Migros, pourtant deux acteurs majeurs de la grande distribution en Suisse, sont notoirement absents. Swiss Pledge souffre de plusieurs écueils. Le plus important réside dans le fait que l’établissement des critères visant à déterminer quels produits doivent être ciblés par une limitation de cette publicité est laissé aux entreprises elles-mêmes. Or il est prouvé que les critères définis par l’industrie sont beaucoup moins stricts que ceux arrêtés par les gouvernements.

Considérant les résultats de notre enquête, il est clair que les initiatives volontaires sont insuffisantes. Ainsi, la FRC demande à ce que les autorités mettent en place davantage de mesures de prévention, pourquoi pas en «infiltrant» les réseaux sociaux, pour toucher le public cible directement où il se trouve.

Il est indispensable que des dispositions légales contenant des limitations du marketing alimentaire destiné aux jeunes soient adoptées. Cet encadrement doit viser les produits trop gras, trop salés et trop sucrés déterminés selon le profil nutritionnel développé par l’OMS (lire plus haut). L’enquête réalisée en février veut également démontrer que le mode d’exposition des jeunes à la publicité a changé: les plateformes devront impérativement être prises en compte dans ce projet de régulation, avec des moyens de contrôle efficaces et des sanctions en cas d’infractions.

Un ancrage dans la loi du marketing alimentaire à destination des plus jeunes est souvent combattu. Les opposants brandissent régulièrement la carte de la responsabilité individuelle du consommateur, qui doit pouvoir être libre de faire ses choix indépendamment du système dans lequel il se trouve. Néanmoins, le contexte publicitaire et les avancées dans la recherche scientifique démontrent que la responsabilité individuelle ne peut en réalité plus s’exercer. Le libre arbitre est biaisé, tant chez les parents que les enfants, par les effets pervers d’un marketing quasi omniprésent. Or la liberté individuelle, c’est de pouvoir faire un véritable choix, dans une offre qui propose également des alternatives favorables à la santé.

Nous l’avons évoqué, des enseignants ont eux aussi découvert les types de contenus auxquels sont confrontés leurs élèves sur TikTok. Il est donc légitime de se demander si les opposants à de telles limitations disposent, eux, tous d’une réelle connaissance.

La FRC exige plus de responsabilité de la part des plateformes

Si l'essor des plateformes en ligne s'est ancré dans les habitudes de consommation et de communication, l'absence d'un cadre légal spécifique et adapté permet à de nombreux acteurs d'élaborer et de recourir à des pratiques commerciales délétères pour les consommateurs. Ainsi, les entraves à la liberté contractuelle et à la loyauté commerciale, la non-conformité et la dangerosité de certains biens, la collecte massive de données et les excès de publicité ciblée, souvent difficilement identifiable en tant que telle, sont devenues monnaie courante.

Alors que l'Europe a attaqué cette problématique en élaborant le Digital Services Act, la Suisse, avec ses 9 millions d’habitants, reste démunie face aux pratiques abusives de certaines plateformes. Des changements sont nécessaires. À commencer par plus de loyauté dans la conception et l'exploitation des interfaces utilisateurs, en bannissant certains dark patterns et en veillant à ce que les interfaces ne trompent pas les internautes ni ne créent de risque de confusion. La collecte et l'utilisation des données personnelles, la publicité ciblée et l'économie de l'attention suscitent désormais des inquiétudes majeures.

La publicité devrait donc être clairement identifiable en tout temps, sur tout support et par chaque utilisateur. Quant à celle ciblant les mineurs, qu’il s’agisse d’encarts publicitaires ou de contrats avec des influenceurs tournés vers un public plus jeune, elle est à proscrire. Exiger des plateformes qu’elles fassent preuve de plus de responsabilité fait partie des combats prioritaires de la FRC.

Jean Busché